Demain nous serons fixés… Jurassic World rendra t-il honneur à la légende sortie en 1993 ?
Les films Jurassic Park forment un monde à part. Sur l’œuvre romancée de Michael Crichton, Steven Spielberg a lancé un univers où les hommes ont rencontré les dinosaures. Retour sur une fascinante aventure dans la jungle, la technologie et la nature humaine… Ou comment une passion fut soulevée pour des millions de personnes.
Premier Acte. Les symboles de Jurassic Park
Le pouvoir d’un Logo
Nous pouvons déjà comprendre la force profonde de Jurassic Park à travers son logo. Le T-Rex sur fond rouge nous apparaît docile. Pour quelle raison ? Son squelette nous amène à l’observer avec de l’attention, puisque nous sommes nous aussi constitués d’os articulés les uns entre les autres. Les petites pattes avant ne rendent pas l’animal terrifiant, malgré un visage dévoilant de nombreuses dents. Ce logo est persuasif car il montre l’animal dans sa forme première, dans sa fragilité. Visuellement, nous sommes face à un dinosaure sans pour autant le voir : nous n’avons que l’ombre ! Nous sommes donc conduits à imaginer la taille réelle de l’espèce, dont la gueule nous paraît gigantesque. Ce travail nous permet de ressentir la présence du dinosaure, sa réalité effective au delà du squelette. Le T-rex est identifié sans être vu dans son ensemble. De là naît le désir de le voir avec sa peau, ses jambes et le reste de son corps. Ce logo ne montre pas, il suggère !
Le logo Jurassic Park est donc la création d’un rapport visuel avec le monde des dinosaures. Nous sommes proches de ces reptiles car ils ont fréquenté les mêmes éléments terrestres que nous : déserts, jungles, montagnes, lacs, rivières. Les différences entre homme et dinosaure ne forment pas de barrières radicales, mais soulèvent des points communs. Nous sommes communs dans la mesure où nous avons tous une forme. Si elle varie entre les espèces, elle traduit ce qui est lié entre tous les organismes : la vie, c’est à dire les os, la chair, le sang dans les veines, les yeux, les poumons, les organes de reproduction. Les êtres vivants partagent des dispositifs de vie semblables.
Observons aussi les détails du logo. Des palmiers typiques d’une jungle sont visibles au premier plan. Minuscules face à l’ombre du T-rex, ce dernier s’en trouve mis en valeur et devient menaçant. Un contraste d’échelle rajoute une grandeur épique au roi des dinosaures. Le ton est donné dès les premières secondes du film : la planète Universal est accompagnée avec le fond sonore d’une jungle.
L’île Isla Nublar
Une île au large du Costa Rica. Le calme, les plages, les cocotiers… Cela laisse rêveur. Mais en ajoutant la présence des dinosaures, un sentiment de claustrophobie fait irruption. Ce qui enferme les dinosaures détient également les hommes ! Comment sortir de là ? Comment trouver secours ? L’île symbolise un isolement, car elle est loin de toute société. Le rêve de voir enfin les dinosaures contient inconsciemment de grandes angoisses. L’homme perd ses repères et se retrouve devant un monde qu’il ne connaît pas. L’île symbolise la dure survie en milieu hostile.
Deuxième Acte : portées esthétiques
L’esthétique du Rêve
Le parc est né d’un rêve. Mais ce rêve échoue car son idéal est irréalisable. Le propre d’un rêve, c’est qu’il a besoin de la réalité mais aussi de l’irréel. Quand nous rêvons, nous inscrivons notre projet dans la réalité tout en faisant appel à l’imaginaire. Le parc devient dangereux dès lors que cette part d’illusion fut ignorée par ses concepteurs. Ils ont omis de se méfier des conséquences de leurs actes. L’esprit humain s’expose au danger en restant aveugle à la tyrannie de ses ambitions. John Hammond est pris au piège par sa créativité et son rêve lui coûte très cher. Malgré les morts et la catastrophe, il ne perd pas espoir de rebâtir son parc. La folie l’a rendu aveugle et apporte à Jurassic Park un angle psychologique.
Dangers & besoins de Sécurité
Caméras de vidéo-surveillance, portes de sécurité, clôtures défoncées… Le film alimente la relation aux dangers et à la mort. Les sciences technologiques sont reconnues mais présentées tel qu’elles sont réellement, avec leurs défauts et leurs bugs.
Une tempête empêche nos héros de prendre le ferry, et jouera des tours à l’informaticien Dennis Nedry. Une violence propre à la nature s’exprime à travers des pluies battantes, le vent et la nuit. La liberté d’agir des hommes est restreinte. L’absence de sécurité devant les dinosaures est doublement renforcée par nos limites devant la nature. Nous devons nous plier devant elle, car elle l’emportera malgré nos moyens. Ainsi arrive une esthétique de la peur, mais d’une peur enjouée : malgré le danger, nous continuons d’être fascinés par les dinosaures, car nous en sommes terriblement affectés. Imaginez un Vélociraptor à côté de vous. Vous risquez malgré sa sauvagerie d’être impressionné par le dinosaure. Il est impossible de connaître la nature des dinosaures comme on peut connaître la nature humaine. Ils causent le désir de les approcher, de comprendre ce qui constitue leur essence.
Troisième Acte : l’ADN de Jurassic Park
Un voyage dans le Temps
Le film réunit deux époques. Les dinosaures forment le monde sauvage d’un moment donné de la Terre, alors que les hommes constituent le monde du 21ème siècle. Le passé et le présent se rencontrent, c’est le choc de deux mondes éloignés. La notion du Temps disparaît pour créer un rapport de force entre deux genres de vie : le genre des dinosaures, le genre des êtres humains. La frontière de l’Histoire se dissout soudainement, les époques se retrouvent confondus comme un chaos ressurgit.
Les Âges humains
Tous les cycles de la vie sont représentés dans Jurassic Park. De l’enfance avec Alex et Tim Murphy à l’âge adulte par Alan Grant et Ellie Sattler, et jusqu’à la vieillesse avec John Hammond, le film est une lecture approfondie des périodes de l’existence. La sagesse n’est pas chez le vieillard, qui est le véritable perdant de l’histoire. Elle est plutôt présente chez les enfants qui symbolisent la croissance et une aspiration à la vérité, ainsi que chez les adultes qui possèdent la responsabilité et la maturité de la vie. Jurassic Park est un film tellement talentueux qu’au premier regard nous ne pouvons rien déchiffrer. Mais de nombreux paramètres sont mis en place pour le rendre aussi efficace et captivant. Pour vous indiquer la rigueur de Spielberg sur la mise en scène, vous noterez son remarquable précision: il a refusé d’intégrer une scène qui avait demandé plus d’un an de travail, car finalement il craignait «qu’elle brise le rythme de son film.» (source )
Une esthétique du vivant
Jurassic Park pose un constat du stade d’évolution atteint par l’homme. Notre espèce s’est développée mais jamais nos progrès nous garantiront la maîtrise du monde. C’est comme si le film donnait la parole à une autre époque, et que celle-ci communiquait avec nous malgré les millions d’années qui nous séparent d’elle. Les dinosaures revivent, leurs animatroniques nous les dévoilent tel qu’ils étaient réellement. Une «âme» est donnée à ces espèces devenues vivantes. Deux matérialités de deux époques s’affrontent, et chaque espèce est là pour conserver sa vie. C’est dans sa capacité à saisir le vivant, dans ce qu’il a de magique et de cruel à la fois, que Jurassic Park fascine son public.
Le rapport des hommes est complexe à la Terre : nous l’aimons, mais nous ne pouvons pas ignorer que nous aspirons profondément à un ailleurs, à un autre espace. Dans Jurassic Park, John Hammond a ressentit ce besoin de recréer les dinosaures pour le retour d’une époque disparue. Cette intuition mélancolique signifie l’attachement de l’homme a des racines qu’il ignore.
Le souffle de l’Aventure
La scène finale où nos aventuriers montent dans l’hélicoptère pour quitter l’île révèle de tendres sentiments humains. Comme une famille fatiguée après un long week-end passé dans un parc d’attractions, les personnages s’endorment et sont heureux de repartir chez eux. Le sourire envahit leurs visages, leurs yeux brillent, ils sont accomplis de tout ce qu’ils ont vécu. Toute cette aventure n’a durée que deux jours, mais c’est comme si le temps s’était arrêté. Les survivants ont lutté jusqu’au bout, leurs actions furent poussées à la perfection. Leur âme s’est réalisée et épanouie. Nous sommes conquis par la grâce du récit. Spielberg nous a fait voyager ! Jurassic Park nous permet de sortir spirituellement de soi et de vivre l’aventure au premier degré.
Mot de la fin
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L’énergie d’une œuvre
Jurassic Park est une œuvre d’artistes, pour les âmes d’artistes. Sa plus grande réussite est de nous faire imaginer des suites, des scénarios, des îles tirées de notre esprit. Depuis que ce monde est connu, c’est à dire depuis 1993, jamais il n’est mort car toujours des hommes ont continué à nourrir cette passion pour un parc de dinosaures. À travers des fans-arts, des constructions, des travaux d’artistes, Jurassic Park a vécu et continue de vivre au-delà de son statut initial de fiction. Plus qu’un art, c’est le moyen de continuer le voyage de l’esprit humain, d’être porté vers ce qui n’appartient pas au patrimoine de l’homme. Jurassic Park donne le sentiment de pouvoir mourir heureux, comme si nous avions enfin eu ce qui nous était absent. Est-ce cette présence des dinosaures, ancêtres auxquelles nous sommes reliés à jamais par le simple fait que nous avons marché sur terre ?
Compléments
Citations célèbres :
« Le Velociraptor ne prend pas la peine de te mordre la jugulaire, comme le lion, oh non… Il t’entaille ici, ou ici [à l’aine]… Il t’ouvre peut-être le ventre et déverse tes intestins. Le pire, c’est que… tu es vivant lorsqu’il te dévore. Alors essaye de te montrer un peu respectueux.» Alan Grant
«S’il y a une chose que l’histoire de l’évolution nous a enseignée, c’est que la vie ne peut pas être retenue. La vie se libère, elle s’étend à de nouveaux territoires et brise les barrières, douloureusement, peut-être même dangereusement…» Ian Malcom
« La création est un acte de pure volonté ». John Hammond
Ouverture :
• le Forum jurassic-park.fr
• la critique cinéma de Filmosphere.
• l’analyse du site Zone Fantastique
Sondage :
Et vous, que vous évoque Jurassic Park ?





















Hé bien !!
Que de réflexions personnelles et de philosophie !! J’avouerai que je ne me suis jamais autant creusé les méninges lors de la sortie du film ni dans les années suivantes… Ni maintenant.
Nonobstant, ce post pose des questions intéressantes et est plaisant à lire.
Tu as oublié une citation célèbre, ma préférée, qui résume bien tout le film : « J’ai dépensé sans compter » que répète John Hammond tout au long du film mais dans des situations précises :
– Au début : à la façon « Je suis riche, je fais ce que je veux, j’en ai les moyens et je les utilise » (il fout le bordel dans le chantier archéologique, il n’écoute rien de ce qu’on lui dit etc etc etc…)
– Au milieu/vers la fin : à la façon « Je suis riche, j’ai voulu faire ce que je voulais mais je n’ai pas fait attention aux conséquences… Et je me rends compte qu’elles me reviennent en plein poire »
La même phrase, dite à différents moments, produit des intonations et des messages différents ^^
Mes 2 sous philosophiques si je puis me permettre ^^
Serviteur,
Salut Morikun,
merci pour ton intervention qui apporte un vrai plus à l’article. Ton analyse de John Hammond met bien en évidence la grande portée du film. Davantage qu’un spectacle de dinosaures, c’est un film critique vis à vis du pouvoir de l’argent qui est tellement sacralisé à Hollywood et aux Etats Unis. Hammond peut être vu comme un personnage attachant car âgé et fondateur du parc, notamment aux yeux des plus jeunes. Cependant c’est sans doute le vrai méchant de l’histoire, encore plus que Nedry. Il se croit vraiment tout permis, et en regardant le film à l’âge adulte, on se rend compte que ce personnage est agaçant et sans réelles valeurs.
Je ne sais pas comment s’est débrouillé Spielberg, mais son film est brillant à chaque plan et dans chaque idée ^^
« Je ne sais pas comment s’est débrouillé Spielberg, mais son film est brillant à chaque plan et dans chaque idée ^^ »
Il n’est certainement pas tout seul mais ce souci du détail tant dans le visuel que l’intellectuel explique sûrement que chacun de ses films explosent quasi-systématiquement les scores…
On peut cependant être beaucoup plus mesurés concernant l’opus 2 et la catastrophe commerciale de l’opus 3. Même si Spielberg n’était plus le producteur en chef, il a quand même mis des sous dedans… Mais si le 2 tient encore à peu près la route, le 3 fait vraiment figure de prostitution cinématographique : un seul acteur qui reste de l’équipe originale, 5-6 autres seconds couteaux sans réelle consistance et des scènes raccoleuses avec les dinos (cela me laisse toujours un sale goût en bouche quand je tombe sur des suites à rallonge où tout est relié à un seul et même acteur et que tout le reste tient avec des bouts de ficelles)…
Je ne suis pas allé voir le 4, à cause de mes très jeunes enfants cela fait des années que je ne suis pas allé au cinéma ^^’ mais il se peut que je choppe le blu-ray.
Serviteur,
Pour l’opus 2, Spielberg affirmait que l’équipe avait du tourner très vite, et que plus jamais il ne voudrait travailler dans des conditions pareilles. C’est le film dont il est le moins fier.
Le 3 ne me dérange pas, il m’avait rendu tellement heureux (12 ans à l’époque, et vu le jour de mon anniversaire, quelques jours après sa sortie). Mais je vois ce que tu lui reproches :)